Actualité de l'enseignement catholique

Alain Taverne, Directeur du Collège



Le nouvel intérêt porté par les médias à l'Enseignement Catholique n'a plus le caractère polémique et politique que nous avons connu lors des crises historiques, la dernière notamment en 1984, lors du soulèvement populaire destiné à défendre la liberté des parents dans le choix de l'école de leurs enfants. La "survie de l'école libre" n'est plus sujette à débat. Il s'agit aujourd'hui de pédagogie, de complémentarité, de capacité d'innovation, d'alternative dynamisante. L'évolution de notre société y est sans doute pour beaucoup : le pragmatisme a pris la place des idéologies, dont les plus marquantes se sont effondrées peu à peu. Mais il faut reconnaître également que l'Enseignement Catholique, sorti de son attitude de repli défensif, y joue un rôle déterminant, par la force de proposition dont il est porteur, par son sens de la tolérance - ou plutôt de l'accueil des différences -, qu'il vit, par son souci de vérité, propulsé au devant de la scène par les Assises dont nous avons déjà parlé. Sorti de l'idéologie religieuse dans laquelle on l'avait enfermé, il a su faire la preuve de sa force éducative. Au moment où tant de transformations sont en gestation, il serait dangereux de se satisfaire de ce revirement : il importe d'avancer lucidement et sans se départir de l'humble fierté qui caractérise la recherche de la vérité dans ce monde si important de l'éducation.


De l'"Enseignement Libre" à l'"Enseignement associé", en passant par l'"Enseignement privé" : ces distinctions peuvent sembler relever de la casuistique ; elles révèlent cependant des différences d'approche déterminantes. L'appellation "Enseignement libre" est un héritage de l'époque antérieure à la loi Debré (31/12/1959) - qui a institué les contrats -, époque difficile au cours de laquelle nos Établissement disposaient certes d'une large liberté de programmes et de recrutement des maîtres mais n'ont survécu que grâce à la générosité des familles et des enseignants. L'"Enseignement privé" désigne légalement, depuis la Loi Debré, l'ensemble du secteur d'enseignement, confessionnel ou non, contractuel ou non, tenu de respecter certaines normes, selon son lien à l'État, sous la tutelle d'organisations ou de personnes privées. Aujourd'hui, l'Enseignement Catholique, massivement lié à l'État par contrat d'association, tient à souligner ce caractère "associé", du fait de son engagement à œuvrer à la tâche nationale d'éducation aux côtés de l'Enseignement public, soucieux d'utiliser ses marges d'autonomie pour fonder son action éducative sur le message évangélique, dans le respect de la liberté des personnes, et pour développer, par son dynamisme, toutes initiatives pédagogiques susceptibles de mieux répondre aux besoins des jeunes. Toujours légalement "privé", il récuse dans ce terme ce qui pourrait le situer en opposition au service public. Il souligne au contraire sa complémentarité dans la mission du service d'éducation, alternative confirmée par les statistiques officielles, qui montrent qu'un jeune sur deux a aujourd'hui recours à lui au cours de sa scolarité. De ce fait, il ne quémande pas comme des faveurs partenariat pédagogique, reconnaissance publique et aides financières mais sollicite la juste prise en compte du service rendu.


Cette action, menée avec tact, honnêteté et détermination par nos instances nationales, le Secrétariat Général de l'Enseignement Catholique, conduit par M. Paul MALARTRE, consiste d'une part à veiller à l'application de la législation, qui prévoit la parité de traitement mais se heurte parfois à des habitudes d'un autre temps, d'autre part à faire évoluer la réglementation afin qu'elle permette de surmonter des difficultés telles que le statut des enseignants ou les conditions de leur retraite. Le but est de parvenir à un choix équitable pour les familles, encore pénalisées financièrement lorsqu'elles ont recours à nos services.


Ce partenariat en construction ne conduit pas l'État à renier son principe de laïcité, pas plus que l'Enseignement Catholique n'aurait à éteindre la lumière de sa référence à l'Évangile. Un événement insuffisamment connu a été, dans ce domaine, le rapport remis par M. Régis DEBRAY en février 2002 au Ministre de l'Éducation nationale, M. Jack LANG, et réalisé à sa demande, sur "L'enseignement du fait religieux dans l'École laïque". Rompant ici avec une tradition militante et offensive de la laïcité, M. Debray fait le constat - comme bien d'autres, mais dans le cadre d'une mission officielle de la République - des profondes carences culturelles dues à l'exclusion de tout aspect religieux dans l'enseignement et s'attache à ouvrir la voie non seulement à la prise en compte de l'impact historique des religions, notamment du christianisme, dans l'élaboration de notre culture, mais aussi à la reconnaissance des sources, des modalités et des effets de la dimension religieuse de la vie des croyants de notre temps. Il écrit : "La laïcité n'est pas une option spirituelle parmi d'autres, elle est ce qui rend possible leur coexistence…. La faculté d'accéder à la globalité de l'expérience humaine, inhérente à tous les individus doués de raison, implique chemin faisant la lutte contre l'analphabétisme religieux et l'étude des systèmes de croyance existants. Aussi ne peut-on séparer principe de laïcité et étude du religieux…. Le temps paraît maintenant venu du passage d'une laïcité d'incompétence (le religieux ne nous regarde pas) à une laïcité d'intelligence (il est de notre devoir de le comprendre)". Loin d'être, comme bien d'autres, destiné au placard, ce Rapport a donné naissance à d'importants travaux en cours sur les programmes scolaires et à un nouveau module obligatoire dans la formation initiale des enseignants.


Pour sa part, dans son Statut de 1992, "l'Enseignement Catholique témoigne de la volonté de la communauté chrétienne de prendre part institutionnellement à la responsabilité de la nation vis-à-vis de l'enseignement et de l'éducation". Refusant tout endoctrinement ou prosélytisme, il accueille les jeunes de toute origine et de toute confession, dans le respect scrupuleux de la liberté de conscience, ce qui ne signifie pas qu'il tait les valeurs qui l'animent. La neutralité absolue n'est pas humaine : comme le disait Jaurès, peu suspect de cléricalisme, "seul le néant est neutre". Si l'éducation n'est pertinente que lorsqu'elle reconnaît la personnalité de l'éduqué, l'honnêteté veut que l'éducateur présente ses propres convictions comme telles : "L'Enseignement Catholique ne peut pas renoncer à la liberté de proposer le message et d'exposer les valeurs de l'éducation chrétienne. Il devrait être clair à tous qu'exposer et proposer n'équivaut pas à imposer".


Dans la pratique, se pose la question de la méthode d'évangélisation, conformément à notre rôle, rappelé sans cesse par l'Église. La Constitution conciliaire Gaudium et spes nous précise le sens de la réponse à apporter : convient-il de partir de la doctrine ou de l'histoire des hommes ? Dans son commentaire de l'élaboration de ce précieux texte, Mgr. MATAGRIN nous éclaire sur le choix des Pères du Concile : "Un choix délibéré a été fait de partir de l'anthropologie, de partir chaque fois des dimensions humaines de la personne, de la communauté, de l'histoire, du travail. C'était là la problématique propre du Concile et de Paul VI." Ainsi se trouve définie la démarche caractéristique de l'Enseignement Catholique, comme le dit le Père Cloupet, ancien Secrétaire Général de l'Enseignement Catholique : "La finalité de l'école catholique est fondamentalement anthropologique. Elle est au service du développement et de la culture, de la personne dans toutes ses potentialités, y compris sa dimension spirituelle et, à terme - si Dieu veut - d'une ouverture au religieux". Plus concrètement encore : "L'école ne peut être catholique si elle n'est pas d'abord une école et ne présente pas les éléments déterminants d'une école…. Les disciplines scolaires ne présentent pas seulement un savoir à acquérir, mais encore des valeurs à assimiler et en particulier des vérités à découvrir" (Mgr. GARRONE).


Une complémentarité harmonieuse entre service public d'éducation et Enseignement Catholique est donc possible. La voie est tracée ; il s'agit d'y progresser, au service des jeunes qui nous sont confiés et de la société, avec toute notre communauté.