Le bulletin vert

Jean-Claude Gall


Un témoignage d'ancien élève comme on les aime, concernant cette fois l'immédiat après-guerre. Une évocation des plus intéressantes écrite par Jean-Claude GALL, ancien élève du Collège de 1945 à 1951 (de la 8è Rose à la 3è moderne).


C'était l'après-guerre. Strasbourg pansait ses plaies. Des palissades et des chantiers de démolition empiétaient sur les chaussées. Au collège, les moellons grossièrement inventoriés à la peinture blanche encombraient l'emplacement de l'ancienne nef de l'église et rappelaient jour après jour les bombardements de 1944. Les temps étaient durs, la pénurie partout présente,


Les classes étaient fréquentées par deux populations d'élèves aux origines fort différentes. Le contingent le plus important était constitué par des élèves originaires d'Alsace. S'y ajoutaient des garçons " de l'intérieur ", quelques fils de militaires français en garnison à Strasbourg ou en Allemagne. La cohabitation s'avérait souvent cruelle pour les autochtones qui, ayant fréquenté l'école allemande durant les années d'occupation, parlaient le dialecte et s'exprimaient laborieusement en français. Ah ces fables de La Fontaine qu'il fallait apprendre par coeur puis réciter, avec l'accent du terroir, fables dont bien des mots échappaient encore à notre entendement I On ne saurait assez rendre hommage au dévouement et à la patience des institutrices des petites classes qui surent nous éveiller aux beautés de la littérature française.


Le Directeur du collège était à l'époque l'abbé Xavier Fessler. Une carrure de rugbyman, une coupe de cheveux à la brosse qui l'avait fait surnommer " cactus " et un organe vocal à la résonance terrible digne de Philippe Noiret. Il était impressionnant, inspirait crainte et respect.


Chaque quinzaine, un bulletin était remis aux parents pour leur permettre de suivre les progrès de leurs enfants. Y figuraient, en particulier, les notes obtenues aux compositions écrites, les remarques des enseignants et une note de discipline rapportant le comportement de l'élève au collège. Le total donnait lieu à des mentions Très-Bien, Bien, Assez-Bien, Suffisant. Le bulletin était imprimé sur papier blanc. Lorsque le total était inférieur à la moyenne, le bulletin était de couleur verte, le bulletin d'infamie.


Tous les quinze jours, le Directeur se rendait dans les classes faire lecture des bulletins. Sa venue, toujours imprévisible, était attendue par quelques uns avec l'excitation d'une conscience tranquille, par d'autres dans l'angoisse. Les bonnes mentions faisaient l'envie des moins favorisés. Mais malheur et honte aux bulletins verts. Vertement (!) tancés, accablés sous les remontrances et le verbe sonore de Xavier Fessler, leurs destinataires auraient aimé disparaître sous terre. Le blâme était public. Tombait ensuite la sanction attachée au bulletin vert la privation de sortie c'est-à-dire la retenue au collège le jeudi suivant. Ce n'est en effet que tardivement que le mercredi a remplacé le jeudi comme jour de repos hebdomadaire. Les temps et les usages changent !


C'est au fil des années, en grandissant, que les élèves découvrirent sous son enveloppe bourrue la vraie dimension de l'abbé Xavier Fessier, un prêtre, un enseignant d'une grande humanité. Pour les anciens, le bulletin vert était alors relégué au placard des souvenirs nostalgiques.