De "Spüres"à "Kilojoule", souvenirs facétieux du corps professoral dans les années trente.

François Quiquerez (promotion 1938) a répondu présent spontanément à nos sollicitations. En résulte un article plein d'humour au sujet d'anciens enseignants du Collège qui devrait en faire sourire plus d'un parmi nos lecteurs.


Pour les situer dans l'histoire, les souvenirs ci-après remontent, en chiffres ronds, à deux tiers de siècle. Les rapports annuels de ces années-là (disons 1931 à 1938) ont fait la matière de relations par un historien patenté : on n'empiètera pas sur le domaine officiel.


Il s'agit présentement de réminiscences qui ont échappé à l'expression écrite, du fait de leur nature intrinsèquement orale : les élèves les moins disciplinés de cette époque oseraient à peine imaginer quelles foudres se seraient abattues sur le rédacteur d'un billet écrit où l'un des maîtres eut été désigné par son sobriquet ! C'est alors ici un exercice de mémoire bien périlleux en la matière, dont il faut préciser aux plus jeunes lecteurs qu'elle fut plus facétieuse qu'irrévérencieuse. Voici donc quelques surnoms affectés à nos chers maîtres de cette époque.


L'ordre hiérarchique impose de commencer par le Père Mossler, ès fonctions de gardien de la discipline du Collège. Reconnues des externes comme des internes, son habileté à déceler les lieux, motifs ou animateurs de désordres potentiels, et sa capacité de surgir à l'improviste au moment décisif, lui avaient fait une réputation de fin limier. De ce dernier mot, voyez la traduction en allemand, pensez à l'édulcorer - car l'allusion au chien dépassait de beaucoup le respect porté à l'homme - il en reste Spüres (prononcez à l'alsacienne).


Les autres vénérables du cercle directorial se passaient innocemment d'honneurs du même genre. Bien sûr, comme dans toutes les collectivités, quelques patronymes ou prénoms circulaient avec des déformations Klayélé se disait Klowe (il y avait à la fois de ce nom un professeur et un élève Jean K. récemment décédé). Que Voegélé soit devenu Spatz, la démarche était banale. Plus drôle est l'amalgame Kieffer-Sieffert prononcé à la française "qu'y faire ?" réponse : "s'y faire !"


Par contre on s'explique moins comment Wiltz était devenu Bismuth ou pourquoi Foltz fut transmuté en Piston.


Plus rationnels, les avatars de Kintz : pour cet excellent professeur de physique chimie son patronyme seul aurait pu se déformer en Kilo, mais il y avait bien mieux. Son cours sur les unités électromécaniques l'amenait à exposer les dimensions, qualités et emplois du "kilojoule". Alors enchaînez : Kilo -> Kilojoule -> Kilo-Jules -> Jules -> le divin Jules. Par cette dernière réminiscence à César, mesurez la vaste culture qui honorait d'un même coeur la physique et l'histoire de la Rome antique !


Mais passons au grec : pourquoi Chora, alors qu'il s'appelait Munch ? Rappelons d'abord que le mot "chora" (en écrivant ch pour le khi de l'alphabet grec) était l'un des tout premiers paradigme de la conjugaison du féminin, enseigné aux hellénistes débutants. Sa traduction "le pays, la contrée"n'est pour rien dans la suite. L'histoire veut que l'honorable professeur Munch, longtemps barbu, se soit un beau matin présenté rasé. Alors la nouvelle se répandit ainsi dans les cours de récréation : " d'r Munch esch g'schôra", en alsacien bien sûr, mais on aura saisi l'allitération à une des prières quotidienne en latin. Et bien après que le professeur Munch eut disparu, le souvenir de Chora perpétuait aux cours de grec !


Mais pour cet "âge…sans pitié"et de tous temps, les moindres infirmités sont sources de moqueries.


La plus vénérable victime en fut le Père Verrier, philosophe et zélateur du culte marial. Il boitait. La malignité scolaire le gratifia d'une jambe de bois (bah!...sous la soutane ?). Et la suite vint du cours de botanique : schéma d'une inflorescence-type : calice, corolle, étamines, et au milieu le pistil. Ce dernier, on forme de massue, pouvait évoquer la jambe de bois Ainsi le vénérable Père devint-il Pistil pour tout le monde. Les plus irrévérencieux signalaient son approche en fredonnant la rengaine parisienne en conclusion de laquelle "il avait mis en dessous...une rondelle en caoutchouc. Ce qui n'altérait en rien le respect, tous les anciens en témoigneraient !


A côté de celle-là, les autres appellations sont plus banales : pour son teint basané un surveillant évoquait le "cacao" (cri alsacien Kakes) et pour sa voix douce, jugée féminine par certains, tel professeur gagnait le surnom de s'Bibbel. Dans un registre voisin, Bébé Cadum faisait référence au sourire poupin qui ornait les publicités très populaires d'un savon de toilette : le bénéficiaire de ce sobriquet souriait volontiers, certes, mais à cette occasion découvrait largement son dentier en fronçant ses pommettes sur des lunettes cerclées d'or.


On peut juger moins flatteuse, encore qu'empruntée à un personnage célèbre de la statuaire mulhousienne, l'appellation de ce maître défavorisé par la nature quant à la senteur de ses pieds. Il était dit Schweissdissi en version originale, Schweisses plus sobrement pour les strasbourgeois. Et comme son état avait la réputation de défier les saisons, l'occasion était belle de pasticher l'hymne au toujours vert sapin de Noël pour chanter, en allemand cette fois : "…wie stinken deine Füsse." On fera confiance aux potaches de l'an 2001 pour reconstituer les paroles qui en finale évoquent la neige d'hiver.

Pouvait-on mieux finir qu'en chanson ? A moins que le sujet n'appelle un complément …