René EPP, professeur à la retraite, évoque un épisode peut-être méconnu par nombre d'entre nous. En effet, Madame Wolff a jusqu'à présent brillamment entretenu la mémoire du repli du collège sur Périgueux. Mais connaissiez-vous l'épisode de Besançon ?
La ville de Strasbourg fut évacuée début septembre 1939
et le Collège Saint Etienne occupé par l'armée. Le Supérieur,
le Père Macker, marianiste, invita les élèves à
venir continuer leurs études à l'Institut Saint Jean à
Besançon. Cinquante à soixante d'entre eux ont répondu
à son appel. Les surs du Collège les ont accompagnés.
La rentrée des classes a lieu le 22 octobre.
Dans la "Chronique de la Congrégation des Surs de la Charité
à Strasbourg", registre manuscrit se trouvant aux archives de la
congrégation, nous avons lu la petite relation des évènements
de 1940 à 1945, faite par la Supérieure des Surs du Collège,
Sur Pamphile, que beaucoup d'Anciens, surtout les internes, ont encore
connue après la guerre. En voici quelques extraits.
Soeur Pamphile écrit :
"On remarquait fort peu qu'on était en guerre en 1939-1940. Le ravitaillement
ne laissait en rien à désirer. Dans les premiers jours de mai
1940, la situation changea : les Allemands étaient entrés en Belgique
et pénétraient déjà dans le Nord, le danger devenait
imminent. M. le Directeur prévoyant les difficultés de voyager
a jugé bon de faire partir les internes les plus éloignés,
sauf ceux de la classe de Première, qui étaient à la veille
des examens. Le jour de la Pentecôte, de bon matin et deux fois pendant
la grand'messe les sirènes nous ont avertis du passage d'avions - On
vivait dans l'angoisse".
Arrivée des Allemands à la mi-juin : "Tout paraissait calme.
En sortant dans les rues, on rencontrait partout des soldats allemands ; le
drapeau hitlérien flottait aux bâtiments de l'Etat. Ils cherchaient
à gagner les gens par une certaine amabilité ; ils ont eu du succès
auprès de quelques-uns, mais la plupart leur montraient une mine froide,
mécontente. On espérait que leur séjour serait de courte
durée, on comptait sur l'aide immédiate des Américains.
De plus en plus, la tristesse se lisait sur toutes les figures presque journellement
on voyait passer des centaines de prisonniers conduits par les soldats ennemis
qui marchaient à côté d'eux, la tête haute, fiers
et avec un air de mépris...".
Les Allemands ont occupé une partie de l'institution St Jean pendant
presque une année :
"Une cuisine de camp était installée dans un hangar ; comme
c'était là le point de rassemblement, on a préparé
les repas pour environ mille soldats qui étaient dispersés dans
la ville. Nous, les messieurs et les surs, avons reçu nos repas
dans la cuisine des officiers; ils avaient de tout en abondance ; ils ne nous
ont gênés en rien et ils ne sont restés que 3 semaines.
Ceux-ci à peine partis, il nous est arrivé un autre groupe moins
intéressant : les Feldgendarmes, hommes farouches, sauvages autoritaires,
de vrais Prussiens ; leur séjour a été de 6 semaines. A
eux ont succédé des Autrichiens, forcés, comme les Alsaciens,
d'entrer dans la Wehrmacht ; un certain nombre cependant étaient hitlériens
et avaient épinglé sur leur veston la croix gammée. Leur
cuisine était installée dans une classe, tout à côté
de la nôtre. Grâce à leur adjudant, nous avons souvent profité
de leur ravitaillement, qui était très abondant, tandis que nous,
nous étions déjà rationné. Ils sont restés
jusqu'en mars 1941. Tout de suite après eux sont arrivés 300 autres,
des Bavarois, qui ne nous ont pas gênés, sauf qu'ils rentraient
tard le soir et presque toujours ivres et troublaient le repos. Ils sont partis
au mois de mai ".
La situation après le débarquement : "Si certains d'entre
eux (les Allemands), prévoyant la catastrophe, paraissaient déconcertés,
d'autres étaient devenus plus farouches. On vivait comme sous la Terreur
: les gens étaient arrêtés sur les chemins, en ville même,
on leur enlevait les voitures, les bicyclettes, les montres et autres objets.
Des jeunes gens qui voulaient entrer dans la Résistance étaient
arrêtés, conduits à la citadelle pour être fusillés.
Ce triste voyage à ce lieu d'exécution avait lieu ordinairement
entre 6 et 7 heures du matin. Pendant la messe, nous les entendions monter,
et nous entendions les coups de fusil qui mettaient fin à la vie de ces
jeunes héros. Comme nous l'a souvent relaté M. l'aumônier
de la prison, à peu d'exceptions près, ils se sont préparés
à la mort par la réception des sacrements, l'assistance à
la Sainte Messe, la récitation du chapelet en chemin et, pour prouver
leur patriotisme, jusqu'au bout ils ont chanté la Marseillaise. Ces cas
d'arrestation et de mise à mort étaient de plus en plus fréquents.
On approchait de la Libération..."
La Libération : "... Enfin, le 7 septembre, à 8 heures du
soir, des agents de police ont parcouru les rues, annonçant la capitulation
des Allemands. Ivres de joie, les gens sortaient des maisons pour saluer les
libérateurs qui circulaient dans les rues ; beaucoup ont sorti le drapeau
caché, mais préparé soigneusement. Les soupirs étaient
changés en cris de joie, en actions de grâces chez beaucoup ; les
prêtres pouvaient tranquillement célébrer la Sainte Messe.
La ville n'a pas été grandement endommagée, mais les faubourgs.
Le lendemain a eu lieu le défilé, la joie régnait... Le
dimanche suivant, 10 septembre, fut un jour de prière, d'action de grâces,
mais aussi d'affliction pour ceux qui avaient été éprouvés,
soit dans la perte de personnes chères, soit dans leurs biens..>)'.
Les soeurs sont revenues au Collège Saint Etienne en 1945. De 1940 à
1944, le Collège a été occupé par les services de
la police. La chapelle, un des plus anciens édifices religieux de la
ville, qui servait de lieu de culte à la paroisse de la Cathédrale
pendant la guerre, a été détruite par le bombardement du
25 septembre 1944. La salle de théâtre a été transformée
en chapelle provisoire. Quatre religieuses, au lieu de sept avant la guerre,
ont repris leurs anciens emplois.