Eduquer aujourd'hui

Alain Taverne


Monsieur Alain Taverne, Directeur du Collège, nous fait l’amabilité d’accepter de faire à nouveau le point sur l’actualité du Collège.

Une nouvelle fois, me voici invité à vous adresser quelques mots à travers votre Bulletin de liaison. Je me réjouis de cette opportunité car elle me permet de communiquer avec vous au sujet de la vie du Collège, en prenant quelque recul par rapport à la multitude des contraintes quotidiennes. Plutôt que de vous informer plus ou moins en détail des transformations immobilières en cours, j'aimerais, pour cette fois, vous faire part de réflexions plus personnelles que m'inspirent les dix années bientôt passées dans notre maison. A voir le nombre des anciens qui reviennent au Collège pour y inscrire la génération nouvelle, elles ne vous seront sans doute pas étrangères : elles sont en effet liées à notre projet d'éducation, formulé dans notre projet éducatif, sorte de charte de référence, et plus encore dans notre projet d'établissement, qui en définit les modalités concrètes et se trouve actuellement au cœur de nos réflexions en vue d'un réajustement destiné à tracer la route des prochaines années.
Vous savez sans doute qu'un élément déterminant de l'admission d'un nouvel élève est la lettre de motivation fournie par les parents (ainsi que par le candidat, au niveau lycée). Je constate avec plaisir une nette évolution de cette littérature particulière, notamment dans sa convergence avec nos ambitions éducatives. On est passé d'amabilités sur la renommée, la bonne tenue, les résultats aux examens, voire les recommandations diverses, à une approche de plus en plus nette des objectifs de l'éducation, en intégrant le souhait d'ouverture aux autres et de découverte des cultures, souvent lié à un désir d'épanouissement spirituel.

Mon intention n'est évidemment pas de vous fournir ici des recettes pour faciliter l'admission de nouveaux élèves, mais de vous inviter à vous associer au progrès, à l'enrichissement spirituel que je constate. Pour ce faire, j'aimerais vous livrer quelques extraits de lettres récemment reçues. Pour une admission en seconde, après une scolarité en collège public, des parents écrivent : Notre fils a entreposé des connaissances certaines, qu'il a ordonnées par thèmes, selon les matières étudiées. Nous ne sommes pas parvenus à déterminer un lien entre elles, à détecter un dénominateur commun qui permette d'assurer une cohérence à son apprentissage d'homme…. Enraciné dans la spécificité de la province d'Alsace, votre Collège bénéficie d'une solide tradition éducative et permet aux jeunes gens de développer un projet personnel évolutif ouvert sur l'Europe et sur le monde, la culture religieuse constituant le catalyseur de cette ambitieuse entreprise…. Nous avons peur d'une conception de l'enseignement qui consiste à considérer l'élève comme une machine à apprendre, sans qu'aucune valeur spirituelle et morale ne vienne l'embellir. Privé de cette relation supra-humaine, l'adolescent se transforme en adulte ; il se métamorphose en homme s'il en est gratifié.

Voici bien notre ambition et nous sommes comblés de la voir partagée par des parents. Mais ce ne serait qu'une vue de l'esprit ou de belles paroles si la mise en œuvre de telles perspectives était lettre morte. Heureusement, l'interdisciplinarité progresse et il est vrai que la culture religieuse en est un acteur particulièrement dynamique. Notre culture s'est en effet habituée au cloisonnement entre les disciplines d'enseignement, l'utilisation croisée des connaissances acquises dans chaque matière relevant généralement de l'initiative créatrice de la personne, souvent provoquée par les nécessités de l'existence. Il est vrai que nos professeurs, formés le plus souvent en spécialistes d'une matière, ne sont que rarement incités à créer des liens avec les enseignements de leurs collègues. Livrés à leur seule initiative – encouragée ! - , ils sont pourtant fort créatifs en ce domaine.

Depuis quelques années, la création de sections européennes (1992) a conduit les professeurs de langues à approcher les disciplines enseignées dans la langue dont ils sont spécialistes, tout d'abord pour proposer le vocabulaire nécessaire à cette discipline, puis pour en développer une approche culturelle, permettant d'appréhender les nuances, les différentes conceptions liées aux cultures, ou à l'histoire (jusqu'à l'histoire des sciences propre à chaque culture, par exemple les mathématiques, la physique, la chimie appliquées à l'architecture andalouse du Moyen-Âge, ce que découvrent sur place nos élèves de 2nde Andalousie). Peut-être savez-vous que nos Secondes sont des classes à projet, centrées sur la découverte d'une culture particulière et impliquant de ce fait une interdisciplinarité active. Classes-charnières dans l'éducation des adolescents, elles ne constituent cependant qu'un exemple, sans doute plus flagrant, de cette dynamique pédagogique vécue à tous les niveaux de formation.

De son côté, l'enseignement de l'éducation physique et sportive s'est notablement enrichi d'un approfondissement pédagogique, fondé sur une connaissance du corps, indispensable à sa maîtrise, comme sur les exigences civiques de la vie en société, pour la formation aux sports collectifs. Parmi ces nouvelles approches, l'enseignement religieux est entré résolument dans l'une de ses exigences, qui consiste à faire découvrir la dimension spirituelle de toute connaissance, relation ou activité. De nouvelles coopérations se sont ainsi créées, par la confrontation féconde des points de vue, dont aucune discipline n'est exclue et la recherche du sens prend ainsi le pas sur la compréhension des mécanismes. Le pourquoi (ou pour quoi) a désormais non seulement droit de cité mais la primeur de toute approche intellectuelle.

Les méthodes pédagogiques s'en trouvent également transformées. Les sources de connaissance ne sont plus limitées aux manuels et aux savoirs des enseignants ; notre société est désormais marquée par une multitude de moyens d'information, de communication, de recherche, de calcul,… accessibles à chacun, y compris dans le cadre scolaire (CDI). Le rôle de l'enseignant devient alors celui d'un tuteur, d'un conseiller, qui n'est crédible que dans la mesure où il peut justifier ses propositions par l'identification claire d'un but à atteindre, ce but devant nécessairement faire le lien avec les différentes disciplines du programme et avec les perspectives de développement de chaque élève.

L'organisation officielle de l'enseignement scolaire prend d'ailleurs progressivement en compte cette nouvelle approche éducative, systématisant fréquemment des initiatives d'Etablissements Catholiques. Ainsi est généralisée l'heure de "vie de classe" ; l'éducation civique a retrouvé ses lettres de noblesse (éducation civique, juridique et sociale, en lycée), enseignée par des professeurs de diverses disciplines. La nouvelle réforme du lycée prévoit des "travaux personnels encadrés" (TPE), au choix de l'élève, individuel ou en groupe, et encadrés impérativement par des enseignants de plusieurs disciplines de manière à éprouver le caractère interdisciplinaire des questions choisies (travaux devant donner lieu à une évaluation au baccalauréat).

C'est dans cet esprit également que la vie scolaire (nouvelle dénomination de ce qui relevait autrefois du Surveillant Général) a évolué vers une large participation des élèves. L'autorité n'est plus celle qui s'impose, mais celle qui est reconnue comme nécessaire et pertinente, celle qui "fait autorité". Toute mesure doit être expliquée et justifiée par ses fins. Ainsi, les élèves délégués sont-ils devenus un rouage indispensable au bon fonctionnement de l'Etablissement. On constate d'ailleurs chez eux une maturité, un sens civique, une capacité de prise de responsabilité, auxquelles nous n'étions pas habitués, et qui se concrétisent notamment lors de leur participation aux Conseils de Classe ou aux diverses instances de l'Etablissement (Conseil d'Etablissement, Conseil Pastoral,…).

L'élève est une personne et il est considéré comme tel, c'est-à-dire comme un interlocuteur, un partenaire qui construit son projet de vie personnel et en société avec notre aide. Aucun domaine n'échappe à cette réalité. Ainsi, comme le soulignait, il y a quelques jours, notre Archevêque Monseigneur DORE, lors d'une courte rencontre avec nos Professeurs, il ne convient plus de parler de "transmission de la Foi" : la Foi ne se transmet pas, elle est adhésion libre de la personne à l'offre de Dieu, chez les jeunes comme chez les adultes. Tout ce qui est en notre pouvoir (et devoir pour tous ceux qui y croient), c'est de témoigner de l'importance de cette Foi pour nous, de ses bienfaits au travers des imperfections humaines et de l'éclairage qu'elle apporte sur tous les aspects de la vie. La liberté doit alors rimer avec humilité ; c'est à cette condition que nous découvrons le bonheur d'accompagner l'éclosion, l'épanouissement des personnalités de nos élèves.